Se défendre psychologiquement peut coûter cher

2020-07-30

Dre Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue

On entend souvent dire qu’on porte notre passé. Qu’il est difficile de se défaire de notre passé. À l’image d’un fantôme, le poids du passé nous hante et nous colle à la peau.

À chaque instant de notre vie, des pensées, des émotions, des images et des souvenirs s’activent en nous en fonction de ce que nous sommes en train de vivre. Lorsque ce qui s’active est inconfortable ou intolérable, on peut avoir tendance à s’en défendre psychologiquement. Différentes stratégies psychologiques s’animent en nous pour tenter de gérer cet inconfort émotionnel. Certaines stratégies seront utilisées consciemment, alors que d’autres agiront sans même qu’on en prenne conscience. Mon but n’est pas ici de faire une liste exhaustive des stratégies, mais de présenter comment certaines de ces stratégies agissent et éventuellement nous éloignent de ce qu’on ressent réellement, ce qui porte un coût psychologique!

Certaines stratégies psychologiques ont pour objectif de nier le contenu qui s’active, de « se couper » émotionnellement, pour tenter de ne pas le ressentir ni le voir. Par exemple, ne pas vouloir penser à une situation qui nous perturbe, ou retenir nos larmes pour ne pas montrer à l’autre qu’on est triste, ou encore éviter de retourner sur un lieu où l’on a vécu une situation difficile. Quand le contenu atteint la conscience, on coupe, on évite. Il peut même carrément ne pas être traité ni même pouvoir accéder à la conscience! En effet, il a été démontré que les personnes qui ont tendance à utiliser l’évitement émotionnel comme stratégie semblent mettre de côté les indices émotionnels dans les situations vécues. Par exemple, à la suite de la lecture d’un texte racontant l’histoire d’un homme ayant perdu sa conjointe dans un accident tragique, les personnes utilisant fréquemment l’évitement émotionnel sont moins en mesure de répondre aux questions émotionnelles posées en lien avec le texte (ex. « Qu’est-ce que l’homme a crié à sa conjointe juste avant l’incident? »), alors qu’elles n’ont aucun problème à répondre aux questions factuelles (ex. « Dans quel restaurant l’incident a t-il eu lieu? »). Les indices émotionnels ne semblent pas traités comme tels, ils sont plutôt « coupés » ou mis de côté.

Certaines autres stratégies vont plutôt tenter de gérer le débordement émotionnel. Ici nous sommes plongés dans les pensées et les émotions qui s’activent en nous intensément, qui nous débordent émotionnellement. On est confronté aux contenus intolérables, ça s’impose à nous. Une des stratégie est de tenter de « jeter hors de soi » ces contenus intolérables. Par exemple, si je suis profondément déçu de moi (je porte à cet instant le « mauvais » en moi), je projette sur l’autre ce que je trouve intolérable en l’accusant de ne pas être à l’écoute, d’être colérique ou de ne pas être attentif à mes besoins (c’est alors lui qui porte le « mauvais », ça me soulage momentanément). Ce faisant, j’espère aussi que l’autre sera en mesure de faire disparaître ce mauvais. Dans cette même catégorie de stratégies, on retrouve aussi la dévalorisation de l’autre (je me protège psychologiquement en critiquant l’autre, alors qu’au fond je me sens moi-même plus vulnérable). Cela se passe souvent de façon automatique, sans même qu’on s’en aperçoive.

Utilisées de temps en temps dans certaines situations, ces stratégies de défense peuvent nous être utiles. Par exemple, si on se sent anxieux de parler devant un groupe de personnes, il peut être adaptatif d’éviter les pensées qui nous rendent anxieux juste avant de parler. Mais si ces stratégies sont utilisées fréquemment dans différentes situations, les impacts psychologiques peuvent être négatifs. Plus les stratégies utilisées nous coupent émotionnellement et distordent la réalité, plus les impacts sont marqués. Les stratégies de défense en viennent alors à être de plus en plus automatisées et risquent de nous empêcher l’accès à un pan important de l’information. C’est l’équivalent d’écouter les nouvelles télévisées sans mettre le son… on peut arriver à comprendre des bouts, mais on risque de mal interpréter.

Ces stratégies sont coûteuses psychologiquement, car leur utilisation requiert beaucoup d’énergie. Les contenus qui sont mis à l’écart ou distordus continuent de faire pression, de vouloir être entendus. Ces stratégies sont donc maintenues en place pour se défendre des contenus qui continuent de faire pression. Ça prend de l’énergie. C’est épuisant. C’est coûteux psychologiquement.

D’autres stratégies de défense moins coûteuses existent. Des stratégies qui nous éloignent moins de nos émotions et de nos pensées, qui sont plus acceptables socialement et qui mènent à des conséquences psychologiques plus adaptatives. Je vous en parlerai dans un autre texte à venir.

Dre Geneviève, psychologue

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